L’ostéopathie vétérinaire en quête de connaissance
Le bâton à brasser des vents
Les Pigeons Flambeurs
Dans la rubrique, on a lu pour vous.
Nous avons l’habitude de la grande complaisance de la profession et de ses différents acteurs (institutions, organismes professionnels, presse) envers l’escroquerie médicale que représente l’ostéopathie. Nous avons une nouvelle preuve de cette indigence par le dossier à la gloire de l’ostéopathie publié dans la Semaine Vétérinaire N°2010 du 10/11/2023.
Le terme « à la gloire » n’est pas utilisé dans un but de renchérissement rhétorique, c’est en fait une sombre réalité. En effet, à aucun moment de cet article (ne serait-ce qu’un instant, ne serait-ce qu’en un petit mot, voire une note de bas de page), il n’est évoqué les controverses fortes qui entourent la réalité de cette pratique à l’efficacité jamais prouvée. Par contre, on reconnait bien les éléments de langages typiques et complètement foireux qui caractérisent toute la communication autour de ce « truc » (dénigrant au passage les confrères ne pratiquant pas les saints attouchements).
Voyons donc ce qu’il en est en apportant quelques petites précisions à partir d’extraits de cet article.
« la profession vétérinaire est plus timide à proposer cette médecine complémentaire, essentiellement par méconnaissance »
Bien au contraire !
C’est la méconnaissance et l’ignorance du sujet qui permet le développement de cette pratique. Le monde vétérinaire ne connaît pas réellement l’ostéopathie, les vétérinaires qui réfèrent en ostéo ne savent pas dans quel monde ils envoient leurs patients. Personne n’a idée de ce que peut être une dysharmonie du MRP, personne n’imagine la vacuité de la FTM, personne n’ose se représenter la pratique de l’ostéo crânienne.
Ils font bouger les os du crâne les gars !
Et pire, ils espèrent, non, ils affirment, que cela va avoir un retentissement à l’autre bout du corps. Et la plus grande preuve qu’ils peuvent apporter à cela, c’est qu’ils écrivent « l‘animal dans sa globalité » sur leur site internet et dans les dossiers de presse.
Soyons sérieux. Dès qu’on s’intéresse à l’ostéo de façon pragmatique et détachée, le doute s’impose. Dès qu’on a l’ouverture d’esprit suffisante pour lire des cours d’ostéo, se renseigner sur son histoire et son évolution, pour regarder ce qu’il se passe du côté de l’ostéo humaine, on est frappé par le néant de ses fondements et l’irrationalité de son développement.
Née en 1874 en Angleterre pour soigner les animaux (et non les humains!)
Bon, les fondements de l’ostéo sont tellement flous qu’il est même possible de bafouiller sur les origines dans un dossier consacré à cette pratique.
Profitons-en pour mettre des extraits de la biographie de Still (le créateur, médecin américain) telle que décrite ici:
“Le 22 juin 1874 représente, pour ATS [Andrew Taylor Still NDLR], le jour de la révélation du principe ostéopathique. Après toutes ces années de questionnements et de recherches, « Le 22 juin 1874, à dix heures, pour la première fois, je découvris le bouillon de la liberté […] ».
« Il en résulta qu’en 1874, je hissai le drapeau de l’ostéopathie, proclamant que “Dieu est Dieu et la machinerie qu’Il a placée en l’homme est parfaite” ».
« […] qui a découvert l’ostéopathie ? Il y a vingt-quatre ans, le vingt-deuxième jour de juin, à dix heures, je vis une petite lumière à l’horizon de la vérité. D’après ce que j’ai compris, elle fut placée dans ma main par le Dieu de la nature. »
« En l’année 1874, j’ai proclamé qu’une artère perturbée marquait le commencement permettant tôt ou tard à la maladie de semer ses germes de destruction dans le corps humain. ».”
Ajoutons une petite description de « l’idée folle » de Sutherland (l’inventeur du MRP : mouvement respiratoire primaire)
« Mon attention fut attirée par les biseaux des surfaces articulaires de l’os sphénoïde. J’eus soudain cette pensée –comme une pensée guide –« biseautées, comme les ouïes du poisson », indiquant une mobilité pour un mécanisme respiratoire ».
« Les formations à destination des vétérinaires se développent. »
Effectivement, les formations se développent. Le marché de la formation est probablement lucratif, il n’y a pas à dire vu le nombre d’écoles créées.
L’article cite deux organismes à destination des vétérinaires : l’IMAOV (EURL) et l’AVETAO (EURL).
Ces organismes ont historiquement fait leur renommée grâce à l’ésotérisme chinois ou les pensées mystiques d’un radiesthésiste. Leurs cours regorgent de toucher subtil (tellement subtil qu’il peut se faire sans toucher), de chakras et de certaines allusions anti-science voire parfois antivax par le biais de certains formateurs.
Il est aussi intéressant de noter que l’article laisse entrevoir des doutes sur la qualité des apprentissages dans les écoles privées pour non vétérinaires, sans émettre de doutes sur la qualité des formations spécifiques véto (notez que certains formateurs de ces écoles privées non vétérinaires sont issus de la formation IMAOV ou AVETAO).
« des règles strictes pour lutter contre l’exercice illégal de cette pratique permettent de clarifier la situation (…) même s’il n’est pas toujours facile de s’y retrouver pour le propriétaire, tant la dénomination est proche et tant le nombre de non vétérinaires en exercice et formés est important »
Ce paragraphe oriente vers deux commentaires.
Le premier est effrayant. Le public ne peut plus faire la différence entre des vétérinaires diplômés et des charlatans ayant payé 50.000€ pour engraisser des écoles privées. Ça fait peur en soi mais le pire est après. On attribue cette difficulté de différenciation à la « dénomination proche », mais c’est se voiler la face. La vraie difficulté est de ne plus pouvoir différencier une pratique vétérinaire d’une charlatanerie.
La DeLorean nous a fait bondir dans le passé à l’époque de la lutte contre les empiriques et autres rebouteux.
Pour confirmer ce fait glaçant, l’article précise un peu plus loin : « Le dispositif prévu par les décrets et l’arrêté de 2017 s’impose progressivement et naturellement comme une évidence, celle d’une certaine compétence, face aux charlatans ». Rendez vous compte, il faut aujourd’hui une loi pour pouvoir reconnaître les charlatans parce que la pratique en elle-même ne le permet pas.
Le deuxième est moins grave (sauf pour les ostéopathes eux-mêmes). Le nombre de praticiens ostéopathes augmente trop vite. c’est une mise en application de la théorie du « Retour de la Vengeance du Bâton Merdeux ».
Les premiers combattants pour la reconnaissance de l’ostéopathie vétérinaire qui sont pour certains retraités ou en voie de reconversion dans le chant diphonique à destination des iguanes lombalgiques voulaient sécuriser leur exercice et se sont battus pour en obtenir une sorte d’exclusivité. Le résultat a été la création du RNA* sous l’égide forcée de l’Ordre (voir encadré) qui s’est retrouvé avec ce truc un peu odorant entre les mains. Un travail de mise au propre a été effectué à Nantes pour en sortir un référentiel à peu près crédible (Spoil : pas du tout). Mais l’odeur est tenace.
Le retour de bâton a lieu en ce moment. Des petits malins non véto ont bien senti l’affaire et certains sont très doués pour cacher l’odeur à leurs élèves-pigeons et ainsi récolter un peu de blé.
Les alchimistes d’antan qui voulaient transformer du plomb en or doivent se retourner dans leur tombe en apprenant qu’il est si facile de transformer du vent en dividendes.
Témoignage d’une ostéopathe: « elle regrette ce manque d’intérêt ou certains préjugés qui peuvent parfois persister alors que l’ostéopathie est logique et scientifique » « il est dommage que la profession se prive d’une partie de cette médecine qui est scientifique »
Alors, c’est la nouvelle mode des pratiques complémentaires : se revendiquer « scientifiques ». C’est une préoccupation récente pour s’accrocher aux branches et trouver sa légitimité.
Cette préoccupation n’apparaît pas vraiment dans les cours et les discours d’ostéo.
Citons par exemple, le cours d’introduction à l’ostéopathie de l’IMAOV, il y a quelques années : « Comme beaucoup d’entre nous lors de nos premiers contacts avec l’enseignement de l’ostéopathie vétérinaire, vous serez surpris, voire rebutés par ce qui vous sera présenté. Il est probable même que votre esprit « scientifique » sera ébranlé » , « Affirmons le bien haut : nous n’avons aucune preuve scientifique de ce que nous vous apporterons ».
Nous trouverons la même chose en 2016 dans la bouche de Jean Louis Boutin, rédacteur sur le site Osteo4pattes: « L’ostéopathie n’a pas à proprement parler de fondement scientifique au sens où la science l’entend actuellement, c’est-à-dire qu’elle n’a pas démontrée par des études en double aveugle et avec placebo selon l’EBM, l’Evidence Based Medicine, la réalité de son action, de ses effets et de ses résultats, pas plus que la validité de ses concepts, de sa philosophie et de son art »
Si nous remontons encore un peu le temps, c’est à dire chez les mentors des formateurs d’aujourd’hui, nous retombons fréquemment sur le Dr Lizon dont le cours d’ostéopathie énergétique est un condensé de mysticisme (allant du pendule à l’exorcisme en passant par la coquille St Jacques).
Et nous arrivons enfin à ce genre de choses (cours d’ostéopathie IMAOV, on ne nous en voudra pas de diffuser la bonne parole et de faire de la publicité à l’instar de la Semaine Vétérinaire) :
LA TRIPARTITION
La tripartition est à la base de tous les principes ostéopathiques. En effet, pour avoir une action globale, holistique, il va falloir s’appliquer à étudier les 3 niveaux du vivant : Matière, Énergie et Information.
Terminons par un dernier exemple lunaire issu du mémoire d’ostéopathie de celui qui est à ce jour un des présidents du jury du RNA : « Pourquoi la sensation recueillie par l’ostéopathe au travers de sa main ne serait pas une preuve pertinente, comme le sont, par exemple, des images IRM, qui ne sont que des images reconstruites après traitement informatique d’un phénomène physique de résonance magnétique nucléaire. Simplement parce que la sensation de l’ostéopathe n’est pas reproductible d’un ostéopathe à l’autre !!! »_ Eric Goyenvalle DV
Bref, non, l’ostéopathie n’est pas scientifique. Elle en a l’apparence, c’est vrai. Les cours sont précis, avec des planches d’anatomie nombreuses, des techniques variées et détaillées à l’extrême, un vocabulaire propre, des acronymes que personne ne connaît…
C’est lourd, c’est imposant, c’est velu, mais les bases sont pratiquement inexistantes et les prétentions immenses.
L’ostéo, c’est un pilier gauche de Fédérale 3 debout sur des stilettos de 15 prétendant danser le Lac des Cygnes en exhibant son diplôme des Petits Gras de l’Opéra® (Formation en 3 ans).
L’ostéopathie : « Une vision de l’animal dans sa globalité » « une médecine différente, plus intégrative »
Complétons cette phrase par la page d’accueil de l’AVETAO. « Cette approche médicale considère l’animal-patient comme un être unique et entier, dont l’analyse comportementale et la prise en considération des caractéristiques de son espèce sont essentielles et rendent compte de la singularité de chaque malade. Une exigence particulière est également donnée quant à l’impact environnemental du choix thérapeutique. »
C’est insupportable, la définition de cette « médecine intégrative » est la définition de la médecine tout simplement. Tous les vétérinaires prennent en considération les caractéristiques de l’espèce de leur patient, tous les vétérinaires adaptent leurs traitements à l’animal et à ses propriétaires. C’est même, chose incroyable, la base de l’EBVM**. Personne n’a donc attendu l’ostéopathie pour individualiser les traitements.
De nouveau, cette pratique essaie de se démarquer par des éléments de langage qui décrédibilisent l’ensemble des autres praticiens qui seraient a priori assez cons pour traiter un chien comme un chat, un chiot comme un vieux chien, l’animal d’un couple de trentenaires comme celui d’une octogénaire impotente.
Nous sommes tous, par essence et via notre formation, des vétérinaires intégratifs. Il n’y a pas de médecine « différente », il y a une médecine (humaine, humble, responsable, honnête, fondée sur la science…) et des pratiques non médicales (qui ne possèdent pas certaines de ces caractéristiques, barrez les mots inutiles).
En résumé, le dossier « l’Ostéopathie en quête de reconnaissance » est un publireportage réutilisant les arguments éculés et toujours aussi faux des ostéopathes. Malgré la pression et l’intérêt de la clientèle, la fumisterie de cette pratique apparaît progressivement. Ceux qui en profitent le plus, les organismes de formation évidemment, sentent le vent tourner et vont tenter de faire un cadrage-débordement des non véto en abandonnant progressivement le terme ostéopathie pour imposer celui de Médecine Manuelle Vétérinaire.
Hè,
On vous a vu.
Encadré
A l’époque, la préoccupation du CNOV*** était la lutte contre les exercices illégaux. Le CNOV ne se préoccupait pas du bien-fondé de telle ou telle technique ou théorie, c’était pour le CNOV l’affaire des organisations techniques. Dès lors que l’objectif affiché était la prévention ou le traitement d’une maladie animale, il s’agissait d’acte ou d’exercice vétérinaire. Le CNOV ne se préoccupait pas vraiment à l’époque de médecine vétérinaire fondée sur la science.
Aujourd’hui, il n’est plus possible de se cacher derrière cette ignorance technique et scientifique. L’Ordre se retrouve dans une dissonance cognitive majeure qui se traduit par l’obligation de gérer et de légitimer une pratique dont l’existence même entre en infraction au Code de Déontologie.
Il devra trouver une solution à cette anomalie qui décrédibilise la profession.
* RNA : Registre National d’Aptitude
** EBVM : Evidence Based Veterinary Medicine
*** CNOV : Conseil National de l’Ordre Vétérinaire