Lettre ouverte à M Bonnamy
Un de nos membres a réagi aux propos tenus par M Bonnamy, le 6 novembre, dans FigaroVox, par une lettre ouverte. Bien que son sujet ne soit pas vétérinaire, elle montre comment on peut exercer son esprit critique au quotidien. C’est pourquoi nous la relayons via le site de notre association, dans les billets d’opinion, et nous y associons.
Monsieur Bonnamy,
Dans un article paru le 6 novembre 2020 dans FigaroVox, vous présentez votre opinion sur la gestion de la crise sanitaire par les pouvoirs publics. Pour appuyer votre propos, vous usez d’arguments factuellement faux ou fallacieux.
Dans cette lettre ouverte, je souhaite porter à la connaissance des gens qui vous ont lu des éléments factuels qui leur permettront, comme le disait votre éditeur dans son chapeau, « d’alimenter leur réflexion ».
Je ne suis qu’un simple vétérinaire, avec une formation scientifique généraliste, aussi n’ai-je une compétence qu’à peine plus pointue en épidémiologie que vous-même, qui êtes « spécialiste de géopolitique et de philosophie politique ». Je ne me permettrai pas d’émettre de commentaire sur ce qui relève de votre opinion, pour strictement me borner à ce qui a trait aux éléments scientifiques qui, eux, ne relèvent pas de l’opinion.
Votre propos préliminaire est de considérer que « le confinement n’est pas efficace pour sauver des vies et désengorger les hôpitaux ». Pour illustrer cela, vous en appelez à la relecture de Jean Giono et d’Alexandre Pouchkine, formidables auteurs certes, mais dont l’autorité scientifique n’est tout de même pas de première ordre. Par ailleurs, dans les livres que vous citez, nos grands écrivains parlent du choléra, qui est une maladie bactérienne entéritique, transmise dans les eaux et les aliments contaminés. Dans ce contexte, en effet, le confinement n’est que de moindre efficacité, si les gens continuent de consommer la même eau contaminée sans la bouillir. À l’inverse, le coronavirus est à diffusion principalement respiratoire, sa diffusion est donc favorisée par la promiscuité entre individus, sur laquelle influe évidemment le confinement. Comparer une épidémie à bactérie entéritique et une épidémie à virus respiratoire est parfaitement inepte.
Lorsque vous vous décidez à vous appuyer sur une source scientifique, vous choisissez l’Organisation Mondiale de la Santé. Vous affirmez que « aucune preuve scientifique de l’efficacité du confinement n’existe » avant de présenter la caution de l’OMS. Un simple détour sur le site officiel de l’OMS permet de vérifier cette assertion. « Les mesures de distanciation physique et les restrictions à la liberté de circulation à grande échelle, souvent appelées « confinement », peuvent ralentir la transmission de la COVID-19 en limitant les contacts entre les personnes. » L’OMS ne nie nullement les effets collatéraux économiques des confinements, mais n’a jamais soutenu qu’il n’y a aucune preuve de l’efficacité du confinement !
Vous proposez ensuite un comparatif des mortalités nationales en fonction des pays. Vous concluez que les pays qui ont confiné ont eu de mauvais résultats quand les pays n’ayant pas confiné en ont eu de meilleurs. Cette fois, c’est dans la confusion habituelle entre causalité et corrélation que vous vous empêtrez. En effet, s’il y a une corrélation entre confinement et surmortalité, il n’y a pas de causalité entre les deux. La causalité est plutôt inverse : dans les pays ayant été durement touchés (et donc avec une mortalité sévère), le recours au confinement a été presque systématique. Même chez les « bons élèves » que vous citez, des mesures de confinement plus ou moins importantes ont été prises. Vous prenez exemple sur la Suède, comme beaucoup de gens avant vous, en précisant qu’avec 6000 morts pour 10 millions d’habitants, ils obtiennent sans confinement des résultats similaires à la France (40 000 morts pour 65 millions d’habitants). Mais il est un peu facile de comparer ce que vous voulez avec ce qui vous arrange… Le climat de la Suède, par exemple, n’est pas parfaitement superposable à celui de la France. Alors, comparons les résultats de la Suède à ceux de ses plus proches voisins : Danemark, Norvège et Finlande, qui d’ailleurs ont tous fait le choix du confinement. Ces trois pays comptent entre 5 et 6 millions d’habitants, et obtiennent respectivement 747, 285 et 362 morts à ce jour (soit entre 5 et 11 fois moins de mortalité que la Suède). Si la Suède avait confiné et avait obtenu le même niveau de mortalité que ses plus proches voisins, on y aurait dénombré entre 600 et 1500 morts, soit entre 4500 et 5400 morts de moins ! Dans ce contexte, présenter la Suède comme un exemple et proposer de « mobiliser l’armée » pour prendre en charge les malades est assez cynique : si les Suédois ont dû recourir à de telles mesures, c’est justement parce qu’en l’absence de confinement, ils ont été totalement dépassés par l’ampleur de l’épidémie.
Je passe rapidement sur l’étrange empilement d’appel au renoncement (« on ne sait pas contrôler la propagation d’un virus respiratoire ») et de prétention sur les mesures à prendre (« il faut appliquer le triptyque tester/isoler/traiter »). Somme toute, si l’on ne peut rien faire contre un virus respiratoire, à quoi bon s’évertuer à tant d’efforts ? Par ailleurs, personne ne vous a attendu pour tenter d’appliquer le triptyque tester/isoler/traiter. C’est ce que la France a fait depuis le premier jour de l’épidémie. Alors, oui, l’on pourra discuter sur la façon dont cela a été fait, sur les moyens mis en œuvre. Les services publics continuent d’ailleurs, autant qu’ils peuvent, à dépister le plus de gens possible, à les isoler, à identifier les cas contacts, etc. C’est d’ailleurs dans cet exact objectif qu’ont été mises en œuvre les applications StopCovid puis TousAntiCovid.
Puis, non content de comparer un virus respiratoire et une bactérie entéritique, vous proposez ensuite de comparer la covid-19, dans l’ordre, aux accidents de la route, aux séismes puis à la malbouffe ! Que je sache, aucun de ces trois fléaux n’est épidémique !
Vous prétendez ensuite que la covid-19 présente une faible mortalité, « bien inférieure à 0,5% », à l’inverse d’autres maladies virales comme le SRAS (10-20%), le Mers (40%) ou Ebola (60-90%). Ce qui vous permet de conclure : « que ferons-nous le jour où nous serons confrontés à un virus (…) bien plus létal que le covid-19 ». C’est là une démonstration de votre ignorance profane en virologie. Tout d’abord, vous confondez mortalité et létalité. Les chiffres que vous avancez sont ceux de la létalité, c’est-à-dire la probabilité de décès quand on est infecté par le virus. La mortalité, elle, correspond au nombre de personnes décédées sur l’ensemble de la population considérée. Un virus ne présente donc pas de « mortalité » intrinsèque, mais bien une létalité. Ebola est très létal, mais présente une mortalité faible, car les virus très létaux ne génèrent que difficilement des épidémies très mortelles, pour la simple raison qu’à l’endroit du foyer, si tout le monde meurt, il n’y a rapidement plus personne pour transmettre la maladie. Ainsi, la plus grande épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest a provoqué 11 000 morts ! Le SRAS, moins de 1000. Le Mers, moins de 500. Bien loin des 1,3 millions de cette covid-19, non ? C’est là toute la puissance de ce coronavirus : il n’est pas très létal, ce qui lui permet de se diffuser à très grande échelle.
L’argument le plus grave, probablement, dans votre argumentaire, reste la négation des chiffres de mortalité. « Il n’est finalement pas mort plus de gens du 1er janvier au 30 septembre 2020 qu’en 2019 sur la même période ». Cette fois, c’est sur le site de l’INSEE qu’il nous faut aller vérifier tout cela. Depuis le début de l’épidémie de coronavirus, du 1er mars au 1er novembre 2020, l’INSEE décompte 416 200 morts (toutes causes confondues). Sur la même période, en 2019, on en dénombrait 382 000, soit 34 200 de moins ! Alors, à moins de suspecter une conspiration au sein de l’INSEE, avancer qu’il n’y a pas de surmortalité en 2020 par rapport à 2019 est un mensonge éhonté !
Le dernier point que je souhaite soulever est probablement le plus malsain éthiquement : vous affirmez que « la moyenne d’âge des patients décédés avec la covid-19 est de 81 ans en France, [ce qui] correspond à l’espérance de vie ! ». Une nouvelle fois, vous faites ici la démonstration de votre incompréhension de principes scientifiques élémentaires. L’espérance de vie n’est pas de 81 ans en France, comme vous l’affirmez : elle est de 81 ans À LA NAISSANCE (en réalité, 82,5 ans en 2017, mais ne chipotons pas) ! En effet, une espérance de vie n’est pas une donnée figée, mais dépend de l’âge auquel on la considère. Ainsi, les tables de l’INSEE 2016 montrent que l’espérance de vie à 80 ans est de 88 ans pour un homme et 90 ans pour une femme ! Soit entre 8 et 10 années de « reste à vivre ». Certaines études avancent un paramètre intéressant : le Years of Life Lost. Aux USA, ce YLL est estimé à ce jour à environ 2,5 millions d’années (préprint) pour l’ensemble des 250 000 victimes de la covid-19, ce qui veut dire qu’en moyenne les victimes de la covid-19 ont été privées de 10 années de vie ! Insinuer comme vous le faites que ceux qui sont morts de la covid-19 devaient de toute façon mourir, que leur temps était largement venu est une contre-vérité, en plus d’être nauséabond.
Dans ce contexte, votre aimable et humaniste phrase « la vie humaine est inestimable » sonne bien fausse et cynique. D’ailleurs, vous ne pouvez résister bien longtemps à ajouter « laissez vaquer à leurs occupations habituelles tous ceux qui ne risquent rien ». Que votre conception de la solidarité est élégante, monsieur Bonnamy !
« Nous ne pouvons pas mettre tout un pays à l’arrêt et détruire notre économie pour un virus à la létalité aussi faible et qui tue un public aussi âgé et aussi ciblé. » Je me permets de vous rappeler que les épidémies virales les plus graves de ces dernières décennies restent (exception faite du SIDA, épidémie de forme très particulière) les grippes asiatiques de 1957 et 1968, qui ont chacune fait entre 1 et 2 millions de morts, soit probablement moins que n’en fera au final la covid-19. Il faut donc à présent remonter à la grippe espagnole de 1919 pour trouver trace d’une épidémie virale plus mortelle à la surface de notre planète.
Je conclurai par un dernier mot à l’intention du FigaroVox, qui cette fois trahit mes propres convictions : donner la parole à des experts auto-proclamés qui n’ont d’autre compétence que le volume de leur égo, c’est encourager la défiance de la population à l’égard de l’effort que doit produire notre société dans son ensemble pour endiguer cette épidémie. Que vous donniez la parole à des « voix divergentes » qui proposent des opinions contradictoires, pourquoi pas, mais de grâce, cessez de publier des torchons qui se permettent de piétiner allègrement toutes les données scientifiques. Si néanmoins vous persistez à maintenir la publication de cet article, je serais honoré d’être votre prochain invité et de donner, à mon tour, mon avis sur le conflit israélo-palestinien qui n’a que trop duré et pour la résolution duquel j’ai d’excellentes solutions lapidaires à proposer.
DVM Nicolas Barbier
Merci pour ce texte et votre travail !
Merci pour cet encouragement qui réchauffe le cœur !