Certificat d’immunité : une bonne idée ?
Ce billet est une version simplifiée d’un article plus complet abordant la « fiabilité » des tests. Si vous souhaitez dès maintenant le consulter, c’est par ici que ça se passe.
Certains politiques veulent acheter pour plusieurs millions de tests sérologiques en prévision du déconfinement. Leur but est de tester un maximum de personnes. Les positifs, qui ont des anticorps neutralisants, pourront circuler librement car ils ne pourront plus ni transmettre la maladie, ni être malades. Ils auront un « certificat d’immunité ».
Ce raisonnement paraît logique, pourtant un test sérologique raisonnablement « efficace », présentant une sensibilité clinique de 95% et une spécificité de 90%, peut laisser libre 50% de personnes se croyant protégées (alors qu’intuitivement on pourrait les évaluer à 10%). Je vous en fais ici la démonstration :
D’abord un rappel de quelques définitions indispensables que vous connaissez tous :
- La sensibilité d’un test sérologique (Se) :
- Pourcentages de tests positifs pour les porteurs d’anticorps
- La spécificité d’un test sérologique (Sp) :
- Pourcentages de tests négatifs pour les non porteurs d’anticorps
- La valeur prédictive positive d’un test sérologique (VPP) :
- Probabilité d’avoir des anticorps lorsque le test est positif
C’est LE point clé : pour qu’un test soit « efficace » dans ce contexte, il faut que la VPP soit la plus élevée possible.
Dans le cadre qui nous intéresse, il faut qu’un maximum de personnes testées positives soient réellement porteuses d’anticorps, donc qu’un minimum de personnes non protégées soient considérées positives et par conséquent non contraintes.
- La valeur prédictive négative d’un test sérologique (VPN) :
- Probabilité de ne pas avoir d’anticorps lorsque le test est négatif.
Cela a moins d’intérêt pour le déconfinement. Il y a peu de conséquences à confiner quelqu’un qui est en réalité immunisé. (Sauf pour lui 😉 )
La VPP et la VPN sont dépendantes de la prévalence. Cette dernière notion, utile ici, la prévalence d’une maladie : c’est le pourcentage de malades dans une population à un instant donné.
Par convention, on appellera malades les porteurs d’anticorps.
Afin de calculer les valeurs des VPP et des VPN, on utilise un tableau de contingence. Je vous en présente ici une version très simplifiée. Pour la version complète référez-vous à l’article de synthèse beaucoup plus complet.
Pour une prévalence de 10% et une spécificité de 90%, on voit dans le tableau suivant que près de la moitié des gens considérés comme non à risque (positif au test) sont en fait des personnes qui peuvent être malades dans un avenir proche et transmettre la maladie.
La VPP est le rapport entre le nombre de malades positifs et le nombre de testés positifs, ici 9500/(9500+9000)=0,51
La VPN est le rapport entre le nombre de sains négatif et le nombre de testés négatifs, ici 81000/81000+500=0,99
Avec une spécificité de 90% toujours mais une prévalence de 5% (valeur donnée à peu près pour la population française (1)). Alors là, ce sont les deux tiers des gens ayant un test positif qui ne sont pas protégés alors qu’ils pensent l’être !
En faisant varier la prévalence et la spécificité des tests, on peut alors faire un tableau qui montre les variations de la valeur prédictive positive en fonction celles-ci.
La question à laquelle on doit répondre, est quelle est la proportion de personnes circulant librement pouvant contracter la maladies alors qu’elles croient être protégés, sommes-nous prêts à accepter ?
Si on place le seuil à 10%, avec une prévalence de la maladie de 10% minimum, alors avec un très bon test (99% de spécificité), c’est acceptable. Si le test est un tout petit peu moins bon (spécificité de 98%) alors il faudrait que la prévalence de l’immunité contre la maladie soit de 20% ! Or la prévalence dans la population française est estimée on l’a dit à 5% voire un peu plus (entre 3,5 et 10,3% d’après (1) ). On peut donc espérer au mieux avoir un seuil à 17% de personnes potentiellement fragiles laissées en libre circulation pour un très bon test qu’on est pas sûr d’avoir !
On voit qu’un test qui pourtant a des caractéristiques honorables avec 95 % de sensibilité et 98% de spécificité n’est pas du tout adapté pour du dépistage massif avec les objectifs qu’on veut se fixer.
C’est pour cela que la solution du dépistage sérologique massif n’a pas été retenue. (Ajouté au fait que des doutes subsistent concernant la qualité de la protection de l’immunité acquise). La notion de certificat d’immunité en prend un sacré coup ! Il est toutefois possible qu’un test à 99,9% de spécificité soit commercialisé, on pourra alors envisager le dépistage sérologique massif. Ou alors la prévalence des personnes immunisées augmentera suffisamment pour que l’utilisation du test sérologique devienne acceptable en dépistage : toujours avec notre test à 95% de sensibilité et 98% de spécificité alors la valeur prédictive positive serait de 98% dans le cas d’une prévalence de 50%. Mais est-ce que cela sera utile avec une telle prévalence ?
Je me suis beaucoup exprimé à la première personne même si cet article est le fruit d’un travail collectif. Je suis toutefois à l’origine de sa trame, et il est important que vous compreniez d’où je parle. Je suis vétérinaire rural. Je ne suis pas épidémiologiste mais notre profession est rodée à la gestion des épidémies. Une grande partie du travail d’un vétérinaire rural, c’est de gérer ou de participer à la gestion des épidémies à l’échelle du troupeau, d’une localité, d’une région voire dans des programmes nationaux. Nous sommes quotidiennement confrontés aux notions d’épidémiologie. De plus à titre personnel, j’ai une appétence pour cette discipline et les biostatistiques ce qui m’a amené à suivre des formations non diplômantes dans ces deux spécialités. Ce texte est complété par un autre que je vous propose, un peu long et touffu. Il n’est pas forcément facile à lire mais il en vaut, je crois, la peine. J’ai essayé de le rendre le plus accessible possible au plus grand nombre.