L’effet placebo en médecine vétérinaire : démystifier les confusions courantes

Par zeteditor
effet placebo vétérinaire

Nous avons lu avec intérêt le Billet écrit par notre consoeur Pascale Pibot, journaliste et astrologue, paru dans l’Essentiel n°748 du 6 au 12 février 2025. Ce billet traite d’un sujet éminemment important sur lequel nous avons déjà publié ou partagé des informations : l’effet placebo et les effets contextuels en médecine vétérinaire. Nous considérons qu’il est donc important d’apporter certaines précisions et de corriger les erreurs et approximations de notre consoeur, d’autant plus qu’elle nous a directement interpellés. 

Effet placebo vs effets contextuels : une distinction essentielle en médecine vétérinaire

Tout d’abord, rien dans son billet ne montre que l’auteure aborde l’effet placebo selon son acception moderne, au contraire tout au long de son billet, on navigue entre les notions d’effet contextuel et d’effet placebo, deux concepts proches qu’il convient cependant de distinguer. L’effet placebo est spécifiquement lié à l’administration d’un traitement inerte (comme une pilule de sucre) qui produit néanmoins des effets thérapeutiques positifs grâce par exemple à la croyance du patient en son efficacité. Ainsi, un patient prenant un comprimé de placebo contre la douleur peut ressentir un réel soulagement simplement parce qu’il croit prendre un médicament actif, par des effets dopaminergiques et endorphiniques.

L’effet contextuel est plus large et englobe tous les facteurs environnementaux et relationnels qui peuvent influencer l’expérience thérapeutique et le résultat du traitement. Cela inclut la relation avec le soignant, l’environnement de soin, les expériences passées, les rituels thérapeutiques, le cadre culturel, le soutien social, l’évolution naturelle de la maladie.

On peut dire que l’effet placebo est une composante spécifique de l’effet contextuel. Dans le cadre de la médecine vétérinaire, la distinction entre effet placebo et effet contextuel devient particulièrement intéressante chez les animaux car ils ne peuvent pas avoir d’attentes conscientes concernant l’efficacité d’un traitement. Cependant, les recherches montrent que les deux effets existent bien en médecine vétérinaire, mais fonctionnent différemment.

Le ‘caregiver effect’ : quand l’effet placebo opère par procuration chez nos animaux

L’effet placebo en médecine vétérinaire est principalement observé de manière indirecte, à travers ce qu’on appelle « l’effet placebo par procuration » ou « caregiver effect » . Il se manifeste de deux façons :

  • Via le propriétaire : Quand celui-ci croit que son animal reçoit un traitement efficace, il peut inconsciemment modifier son comportement et son attention envers l’animal, ce qui peut influencer le bien-être de ce dernier. 1,2
  • Via le vétérinaire : Les attentes du praticien peuvent influencer son évaluation de l’efficacité du traitement. 2

Il a aussi été montré dans des études précliniques, sur le rat et la souris, qu’un conditionnement de type pavlovien peut induire un effet placebo3 vis-à-vis de la douleur (toujours via les circuits dopaminergiques et endorphiniques). Ce conditionnement pourrait, par exemple, peut-être expliquer l’observation de nombreux éleveurs de bovins laitiers, à ce jour non investiguée à notre connaissance, qui injectent les premiers jours post-partum de l’ocytocine pour faire « donner le lait » puis diminuent le dose pour obtenir le même résultat finalement uniquement en piquant la vache avec l’aiguille.

L’effet contextuel agit directement sur l’animal. Il inclut :

  • L’environnement de la clinique
  • L’attitude et le toucher du vétérinaire
  • Les odeurs et les sons familiers ou non
  • La présence rassurante du propriétaire
  • Les routines de soins en clinique mais aussi chez l’animal
  • Et bien sûr l’évolution naturelle de la maladie (régression à la moyenne, guérison spontanée, etc., perçue comme découlant de l’action thérapeutique).

Par exemple, un chien peut réagir positivement à un environnement calme et à une attention renforcée de son propriétaire, indépendamment du traitement administré. Ces éléments contextuels peuvent avoir un impact mesurable sur les paramètres physiologiques comme le rythme cardiaque ou le niveau de stress4.

Attention aux sources : quand spiritualité rime difficilement avec science médicale

Après ces éléments de définition reprenons le fil du billet de notre consoeur. On peut y lire « …  avant qu’il [le placebo] ne devienne cette « substance inactive» à inclure dans des études contrôlées pour évaluer l’efficacité d’un médicament supposé actif. 

Sauf que… l’effet placebo «marche» chez environ un tiers des patients. ». Cette formulation sous-entend que l’inclusion de placebos dans les études cliniques s’appuie sur l’idée qu’ils ne produisent aucun effet. Au contraire, c’est parce qu’on sait qu’une substance non active directement au niveau physiologique peut avoir un effet sur l’état du patient, qu’on inclut dans les essais cliniques des contrôles, soit placebo, soit de traitement dont on connaît déjà les effets, afin de déterminer les effets propres des traitements testés.

D’où sort ce tiers de patients ? Cette assertion générale est fausse : l’efficacité du placebo peut varier considérablement en fonction du contexte clinique et de la pathologie. Ainsi dans certaines études sur les mammites de vaches, on peut aller jusqu’à 65% si on considère la guérison clinique comme outcome5 et il est trivial que les effets contextuels soient proches de zéro sur les carcinomes métastasés, même si la littérature médicale relate un certain nombre de rémissions spontanées lors de cancers. Concernant le Dr Sénanque, cité comme source dans le billet, un examen rapide de sa bibliographie ainsi que de sa page facebook montre qu’il est bien plus préoccupé de spiritualité que de science, fusse-t-elle médicale.

Lorsqu’il affirme, citation parmi tant d’autres, « L’histoire ancienne est riche en guérisons formidables. Résurrection, reconstitution ad integrum de membres amputés [Oui vous avez bien lu, il parle de membres qui repoussent]…évènements vécus, documentés, qui semblent ne plus exister aujourd’hui.

Pourquoi ? Par défaut de croyance, par manque d’énergie collective.

C’est cette énergie qui devrait donner toute leur ampleur aux guérisons fabuleuses. Elle est devenue famélique, car personne ne croit plus assez en elle. » (Le cerveau m’a beaucoup déçu, édition Guy Trédaniel), on comprend que ce médecin se situe hors du réalisme matériel et de la laïcité implicite qui sont des attendus de la science mais qu’il se place résolument dans une idéologie soutenant son opinion religieuse.  On peut donc douter de la validité de son discours et craindre que cet auteur pratique une certaine forme de cherry-picking et il est prudent de considérer qu’il s’agit d’une source peu fiable en ce qui concerne la science médicale.

Autoguérison « Extraordinaire » : ne pas confondre science et pensée magique

Reprenons l’examen du billet en question « L’espoir est une thérapie puissante » pourquoi qualifier d’ « espoir » la relation entre soignant et patient, l’effet blouse blanche, la croyance sociétale dans le système de santé, et la croyance en l’efficacité du traitement ? Ce sont ces éléments qui influencent l’efficacité des substances non actives, pas l’« envie » de guérir du patient. Cette formulation rappelle celle de « la loi de l’attraction » mouvement de pensée New Age qui stipule que nos pensées déterminent ce qui nous arrive.

« Le placebo révèle une extraordinaire capacité d’autoguérison » Vraiment ? Il y a aussi la part de perception des symptômes. L’emploi du mot « extraordinaire » fait appel à une certaine magie, pour mieux faire passer ensuite les affirmations réellement extraordinaires, car non prouvées. L’effet placebo est démontré et fréquent, il n’est donc pas extraordinaire. Pareil pour le terme « autoguérison » qui évoque un processus plus ou moins magique. On pourrait croire que l’auteure fait ici référence à la capacité autorésolutive de certaines maladies mais lorsqu’on lit plus loin « On parle ici du “pouvoir de l’intention” : le soigné ressentirait le désir du soignant de lui faire du bien, et réagirait en conséquence » on comprend qu’il en est autrement : la guérison serait due aux pensées du patient. 

Pour citer encore Sénanque « Nos capacités de renouvellement et d’autoguérison sont potentiellement infinies. La science de la reconstitution ne crée pas des mécanismes inconnus, elle ne réveille que des systèmes anciens qui sont en nous, pour nous. Si la science en est capable, l’esprit l’est encore plus. » La croyance, issue des mouvements spirituels en la responsabilité personnelle du patient dans sa guérison est très forte… Et très délétère : si un patient ne guérit pas, c’est de sa faute, parce qu’il n’a pas assez cru, parce qu’il n’a pas assez prié, parce qu’il n’a pas pris assez de gouttes de Gueritoumissicum ou pas aux bonnes heures, etc.

Elle est d’ailleurs très liée à la loi de l’attraction. Il est ici explicitement fait appel à la pensée magique selon laquelle l’intention peut modifier les événements. Des explications plus parcimonieuses, au sens d’Ockham , sont à privilégier, comme le fait qu’être pris en charge par un soignant, écouté, qu’être l’objet de petites attentions, permet de ressentir plus d’émotions positives, d’être moins stressé, de prendre davantage soin de soi, et in fine de moins ressentir négativement les effets d’une maladie voire d’avoir des améliorations physiologiques par des effets psychosomatiques (dopaminergique et endorphinique dans le cadre de la douleur par exemple). 

L’argumentaire spirituel face à l’approche bio-psycho-sociale : deux visions incompatibles

Dans cette même veine spirituelle, l’appel à une dichotomie supposée corps/esprit (que l’on retrouve dans le titre de la source citée) transparaît dans la phrase « l’effet nocebo n’est pas seulement psychologique mais biologique ». On peut supposer que l’auteure voulait dire que ce n’est pas seulement une question de perception des symptômes mais là encore une personne qui connaît suffisamment le fonctionnement de l’effet placebo et des effets contextuels ne postule pas que ceux-ci ne sont que « psychologiques ». Il s’agit là d’une vision archaïque du phénomène placebo. Et du modèle médical. Aujourd’hui l’approche de soin en médecine repose sur un modèle bio-psycho-social et c’est bien la prise en compte de l’individu dans toutes ses dimensions, indissociables, qui est recherchée. Même si l’approche de la médecine vétérinaire reste encore relativement biomécanique, cela évolue en particulier par la considération des relations patients-clients par la médecine factuelle. 

Placebo honnête ou caché : considérations éthiques en médecine vétérinaire

Rappelons aussi que la réponse à un placebo est très variable d’un patient à l’autre : certains patients répondent très bien aux placebos tandis que d’autres pas du tout et cette variabilité de la réponse est imprévisible ce qui fait qu’il y a une mise en danger du patient. De plus, la durée dans le temps des effets contextuels est généralement inférieure aux traitements actifs.

L’auteure nous rappelle ensuite le problème éthique de la prescription du placebo et nous propose un sophisme du juste milieu pour le résoudre : prescrire à la fois un traitement efficace accompagné par un traitement placebo. Quelle pourrait être l’utilité ? Là encore il y a une incompréhension de ce que sont les effets contextuels (dont l’effet placebo) : ils sont présents même si on administre un traitement actif par lui-même, ils sont indissociables de l’effet thérapeutique. A notre connaissance, il n’a jamais été démontré d’effets sommatifs des effets placebos : donner 2 placebos n’apporte, à priori, pas plus de résultats que d’en donner un seul. Donc à part vendre un truc inutile, aucun intérêt d’associer un placebo à un traitement actif. 

L’auteure écarte le placebo honnête (lorsque le patient est informé qu’il prend un placebo) au motif que son effet serait moindre, c’est ce qu’on pensait jusque très récemment. Des études semblent montrer toutefois qu’on peut espérer que le placebo honnête soit aussi « efficace » que le placebo caché à condition d’expliquer au patient comment fonctionne l’effet placebo6,7. Bien sûr en médecine vétérinaire où on ne s’adresse pas au patient mais à son propriétaire, il faudrait vérifier si cela fonctionne aussi. Mais si tel était le cas alors il n’y aurait pas de raison de se priver du placebo honnête lors d’absence de traitement efficace. La société Zebo aura alors bien senti le coup, elle qui vend du placebo sur Amazon.

Quand l’effet placebo en vient à justifier l’ésotérisme. Barreurs de feu et intercession par la prière : les affirmations extraordinaires appellent des preuves plus qu’ordinaire.

Enfin, ce billet se clôt sur un chapitre où nous sont présentés des arguments extraordinaires :  les barreurs de feu ainsi que l’intercession par la prière soignent les patients ! Pour ce dernier point les connaissances sont formelles à ce sujet, si l’intercession par la prière peut améliorer le confort spirituel du patient, elle n’améliore en rien sa capacité à guérir (il existe même au moins une étude où les patients pour lesquels il y a eu des prières sont plus morts que les autres !8 )9, 10. Et qu’en est-il pour les barreurs de feu ? C’est plus difficile de savoir car les études à ce sujet sont peu nombreuses. Certaines font partie du corpus d’étude sur l’intercession par la prière.

Il en ressort que le recours aux barreurs de feu peut, pour les patients qui veulent y croire, améliorer leur moral et leur tolérance à la douleur (souvent sans diminuer leur recours aux antalgiques) mais jamais il n’a été observé d’améliorations cliniques. Le billet de Richard Monvoisin résume bien la situation et le lecteur pourra utilement s’y reporter. L’approche bio-psycho-sociale évoquée plus tôt explique l’acceptation par une partie du corps médical que les patients fassent appel aux détenteurs du « secret » même si la majorité des médecins connaissent son inefficacité, ils préfèrent garder la confiance des patients en n’allant pas à l’encontre de leurs croyances.

Quoiqu’il en soit, jamais il n’a été rapporté de manière fiable une amélioration quelconque sans que le patient ne soit mis au courant de l’intervention sauf peut-être dans des témoignages qui ont autant de valeurs que ceux constatant une augmentation des naissances les soirs de pleine lune, c’est à dire une histoire charmante mais totalement fausse.

bibliographie 

  1. MCMILLAN F.: The placebo effect in animals. Journal of the American Veterinary Medical Association, 1999, 215, 992‑999. https://www.semanticscholar.org/paper/The-placebo-effect-in-animals.-Fd/753ca8dc0b9a7ea2835a7f81e8e9430c4c0bc668 ↩︎
  2. CONZEMIUS M.G., EVANS R.B.: Caregiver placebo effect for dogs with lameness from osteoarthritis. Journal of the American Veterinary Medical Association, 2012, 241, 1314‑1319. DOI : 10.2460/javma.241.10.1314 ↩︎
  3. NOLAN T.A., PRICE D.D., CAUDLE R.M., MURPHY N.P., NEUBERT J.K.: Placebo-induced analgesia in an operant pain model in rats. PAIN®, 2012, 153, 2009‑2016. DOI: 10.1016/j.pain.2012.04.026 ↩︎
  4. MUÑANA K.R., ZHANG D., PATTERSON E.E.: Placebo Effect in Canine Epilepsy Trials. Journal of Veterinary Internal Medicine, 2010, 24, 166‑170. https://doi.org/10.1111/j.1939-1676.2009.0407.x ↩︎
  5. EBERT, F. et al. : Randomized, blinded, controlled clinical trial shows no benefit of homeopathic mastitis treatment in dairy cows Journal of Dairy Science, Volume 100, Issue 6, 4857 – 4867) DOI: 10.3168/jds.2016-11805 ↩︎
  6. Leo Druart, Saraeve Graham Longsworth, Carole Rolland, Maïa Dolgopoloff, Hugo Terrisse, et al.. Can an Open-Label Placebo Be as Effective as a Deceptive Placebo? Methodological Considerations of a Study Protocol. Medicines, 2020, 7 (1), pp.3. ⟨10.3390/medicines7010003⟩. ⟨hal-02465895⟩ ↩︎
  7. Leo Druart, Oriana Vauthrin, Nicolas Pinsault, Cosima Locher, Charlotte Blease. ‘It’s not my greengrocer, it’s someone from the medical profession’: A qualitative study regarding acceptability of deceptive and open‐label placebo prescribing in France. British Journal of Health Psychology, 2023, 28 (2), pp.273-290. ⟨10.1111/bjhp.12624⟩. ⟨hal-03774306⟩ ↩︎
  8. BENSON H., DUSEK J.A., SHERWOOD J.B., et al.: Study of the Therapeutic Effects of Intercessory Prayer (STEP) in cardiac bypass patients: A multicenter randomized trial of uncertainty and certainty of receiving intercessory prayer. American Heart Journal, 2006, 151, 934‑942. DOI: 10.1016/j.ahj.2005.05.028 ↩︎
  9. Miranda TPS, Caldeira S, de Oliveira HF, Iunes DH, Nogueira DA, Chaves ECL, de Carvalho EC. Intercessory Prayer on Spiritual Distress, Spiritual Coping, Anxiety, Depression and Salivary Amylase in Breast Cancer Patients During Radiotherapy: Randomized Clinical Trial. J Relig Health. 2020 Feb;59(1):365-380. doi: 10.1007/s10943-019-00827-5. PMID: 31054062. ↩︎
  10. Roberts L, Ahmed I, Davison A. Intercessory prayer for the alleviation of ill health. Cochrane Database of Systematic Reviews 2009, Issue 2. Art. No.: CD000368. DOI: 10.1002/14651858.CD000368.pub3. Accessed 31 March 2025 ↩︎