« L’OMS a dit »
Ipse dixit
Cicéron rapporte dans le de natura deorum que lorsqu’on demandait à un disciple de Pythagore de justifier sa position, il avait pour coutume de répondre « Ipse dixit » (« lui-même l’a dit ») mentionnant ainsi le caractère irrévocable de l’autorité de leur maître.
De nombreuses pseudo médecines (homéopathie, acupuncture, ostéopathie, etc.) font la même chose. Lorsqu’on les interroge sur la scientificité de leurs affirmations, un magnifique « l’OMS a dit » vient définitivement clore tout débat.
L’ipsedixitisme ou argument d’autorité est considéré comme un syllogisme et, de par sa nature illogique, devrait être rejeté. Cependant ce n’est pas aussi simple, il faut pondérer notre position.
Il est parfois logique de par la nécessité d’en faire appel.
C’est notamment le cas quand un sujet est excessivement complexe ou mal maîtrisé et que nous ne pouvons en connaître tous les arcanes.
Il est dès lors intéressant de faire appel à une expertise, à des personnes dites plus qualifiées.
Il n’est donc pas absurde de faire appel à l’autorité à condition d’éviter quelques pièges.
Cherry picking et universalisme
Le sherry picking (pêche à la cerise) ou biais de confirmation est une erreur classique. Elle consiste à ne sélectionner que les avis qui vont dans notre sens pour prouver que notre opinion est bonne.
« L’OMS a dit » mais qu’en est-il des autres groupes d’experts reconnus compétents dans le domaine de la santé et de la médecine ? Académies de science, de médecine, de pharmacie, vétérinaire, organismes de recherche, etc. ?
La logique veut que quand on fait appel à l’autorité on juge à l’aune de tous les avis émis et que notre crédence envers une pratique soit proportionnelle au rapport entre les avis positifs et négatifs. Le rapport est défavorable pour les pseudo-médecines telles que l’homéopathie, l’acupuncture ou même l’ostéopathie.
Le biais de généralisation consiste à considérer qu’une propriété, une qualité observée sur un ou quelques individus est généralisable à l’ensemble du groupe. Il admet parfois quelques divergences mais ne les considère que comme des exceptions. Ne pas les prendre en compte est dès lors acceptable.
Prétendre que l’avis de cet organisme est par essence de nature universelle (parce qu’elle est une organisation qui regroupe en son sein la plupart des pays au monde) et que tout autre avis n’est finalement que marginal et peut ne pas être pris en compte, c’est une forme de généralisation abusive.
Mais l’OMS est-il vraiment un organisme qualifié pour rendre des avis scientifiques et que disent les rapports sur les pseudo médecines ?
L’OMS, un organisme scientifique ?
L’OMS, émanation de l’organisation des nations unies, n’est pas un organisme scientifique à proprement dit mais un organisme politique.
L’assemblée qui décide des grandes orientations est constituée de délégation des États membres.
L’OMS fait cependant appel à des avis scientifiques (le secrétariat de l’OMS dirigé par le président est constitué de spécialistes de la santé ou d’autres spécialistes et d’experts) pour émettre des avis, donner des recommandations, établir des normes et harmoniser les règlements internationaux en matière de santé.
Elle établit ainsi des stratégies et des plans de lutte contre certaines maladies, pour l’amélioration des conditions de vie et fournit un support technique aux états (formation, éducation).
Elle peut aussi aider certains instituts de recherche mais n’a pas pour vocation à réaliser des recherches elle-même.
Comme précisé dans sa constitution, l’OMS a pour but d’amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible.
Dans ce même document, la santé est définie comme un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.
Selon l’OMS la médecine traditionnelle est la somme des connaissances, compétences et pratiques qui reposent sur les théories et expériences propres à une culture et qui sont utilisées pour maintenir les êtres humains en bonne santé ainsi que pour prévenir, diagnostiquer, traiter et guérir des maladies physiques et mentales.
La richesse de ses missions explique qu’il y ait une grande pluralité des publications éditées par cet organisme.
En ce qui concerne les disciplines médicales, cela peut être des rapports de groupes d’études qui ne reflètent que l’avis de ceux qui l’ont rédigé.
C’est le cas, par exemple, du rapport sur l’acupuncture : http://www.beovita.eu/pdf/WHO_EDM_TRM_2004.pdf (« The views expressed in documents by named authors are solely the responsibility of those authors »)
On trouve des états des lieux des différentes pratiques avec des recommandations sur les compétences requises pour les professionnels (Benchmarks) afin de protéger les consommateurs et d’assurer la sécurité des patients. Après une présentation des disciplines, l’OMS traite essentiellement des aspects réglementaires, juridiques et éthiques et très superficiellement de l’aspect scientifique.
L’Ordre des vétérinaires et l’OMS
L’Ordre, via le communiqué sur les pratiques médicales non conventionnelles ou non reconnues du 18 octobre 2021 semble considérer que l’avis de l’OMS au-dessus de tous les autres avis comme par exemple celui de l’INSERM ou d’autres organisations scientifiques.
« En préambule, se fondant sur les définitions de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Conseil national déclare considérer la physiothérapie et la rééducation fonctionnelle vétérinaires, la phytothérapie vétérinaire, et l’ostéopathie animale, exclues des pratiques qualifiées par l’OMS de non conventionnelles ou de non reconnues. »
Plus surprenant encore,contrairement à ce que laisse entendre le CNOV, l’OMS classe clairement l’ostéopathie comme faisant partie des TM/CAM (Trad.med./Complementary & Alternative Med.). « WHO in developing this series of benchmark documents for selected popularly used TM/CAM therapies including Ayurveda, naturopathy, Nuad Thai, osteopathy, traditional Chinese medicine, Tuina, and Unani medicine. »
Médecine intégrative et relativisme
On pourrait taxer l’OMS de relativisme lorsque celle-ci juge sur des normes culturelles et sociales le bien fondé d’une médecine.
Certes l’OMS reconnaît que les médecines alternatives tiennent ce rôle cependant elle pointe aussi le manque de preuves de l’efficacité de ces médecines.
Elle propose d’intégrer à ces pratiques l’aspect factuel de la médecine moderne via la formation des professionnels mais aussi la promotion des programmes de recherche.
On est donc loin d’un blanc seing signé en faveur de ces médecines.
L’OMS exhorte à encadrer et réglementer ces médecines, à apporter à celles-ci la scientificité nécessaire pour que la patient puisse prétendre recevoir les meilleurs soins possibles.
En conclusion, on prête à l’OMS des choses qu’elle n’a jamais dites.
Bien au contraire, l’avis de l’OMS est plutôt réservé sur l’efficacité des médecines dites alternatives (homéopathie, acupuncture, médecine ayurvédique) et elle ne se prononce aucunement sur la véracité des théories sur lesquelles ont été fondées ces pratiques.
L’appel à l’OMS n’est définitivement pas un argument valable non seulement pour prétendre que les pseudo-médecines sont efficaces mais aussi que les dogmes sur lesquels reposent celles-ci ont été démontrés.
Who Global Report On Traditional And Complementary Medicine 2019
Le rôle des médecines complémentaires et alternatives | Le BMJ