L’hésitation vaccinale en pratique vétérinaire.
Le monde vétérinaire n’échappe pas aux phénomènes de modes et de controverses concernant la vaccination. Initialement constatée chez des éleveurs « Bio » soutenus par des vétérinaires en particulier durant l’émergence de la FCO (Fièvre Catarrhale Ovine ou Blue tongue) depuis le début des années 2000 en Corse puis sur le continent, la revendication d’une non-vaccination (malgré le caractère obligatoire préconisé par les experts des agences indépendantes) a fait florès dans plusieurs départements et régions de France. Depuis quelques années, tant en France qu’aux USA et en Australie, des propriétaires d’animaux de compagnie refusent de vacciner leurs chiens et chats.
Les arguments avancés sont souvent similaires à ceux rencontrés par les médecins et pédiatres : l’immunité naturelle est plus efficace, les vaccins peuvent provoquer la maladie par retour de virulence, les vaccins peuvent induire des maladies graves telles que l’autisme ou des maladies auto-immunes ou des défaillances d’organes (insuffisance rénale), la sur-vaccination est dangereuse, les adjuvants sont toxiques, les effets indésirables sont graves voire mortels… Le vétérinaire doit alors apporter des réponses pertinentes et argumentées face à des peurs et des croyances, ancrées profondément chez certains propriétaires, et confortées par certains groupes activistes sur les réseaux sociaux.
Les vétérinaires doivent contextualiser les effets indésirables de la vaccination
Les effets indésirables existent et sont rarement graves et mortels : leur notifications via le système de pharmacovigilance sont un socle de confiance et d’évolution des connaissances concernant l’utilisation des vaccins. Ainsi, le vétérinaire doit être un acteur incontournable de la notification en pharmacovigilance et doit le faire savoir aux propriétaires d’un animal suspecté de subir un effet indésirable postvaccinal (*). Les rapports annuels publiés par l’ANMV doivent être lus et expliqués (1) : même si les vaccins apparaissent comme l’une des premières causes d’effets indésirables (32% des notifications en 2018, toutes espèces confondues), il ne faut pas oublier que toutes les imputations sont prises en compte dans le rapport (y compris des évènements non prouvés scientifiquement mais conservés pour l’analyse de risque) et que les vaccins sont les médicaments les plus fréquemment administrés parmi toutes les familles de médicaments vétérinaires.
Une vaccination raisonnée en fonction du contexte
Rappeler que les valences vaccinales sont choisies en fonction des risques épidémiologiques locaux, du mode de vie de l’animal et de son propriétaire ; la systématisation des protocoles vaccinaux peut être source d’interrogation justifiée par un propriétaire sensibilisé et inquiet des conséquences de l’administration de vaccins. De même rappeler, que l’absence de traitement efficace contre certaines infections pouvant être évitées ou amoindries par la vaccination est une réalité tant chez le chien que chez le chat. Informer dans sa salle d’attente de la situation épidémiologique locale et actualisée vis-à-vis de la parvovirose canine et féline, le coryza, la toux de chenil, la leptospirose, est probablement aussi important que d’envisager les méfaits d’un parasitisme interne et/ou externe non contrôlé. La situation sanitaire concernant des maladies pouvant être rencontrées localement ou lors de voyages peut également faire l’objet d’une information pertinente : c’est le cas de la rage ou de la leishmaniose.
Les vétérinaires doivent fournir une information plus étayée
Enfin, les éleveurs de chiens et de chats doivent être mieux informés sur l’immunité de leurs animaux et des risques et avantages de la vaccination. Combien de fois pouvons-nous constater sur un carnet de vaccination : « pas de vaccin contre la leptospirose ! » (encore plus fréquemment depuis l’arrivée des valences L4), « pas de vaccin contre la leucose avant l’âge de 1 an » (nouvelle mode rencontrée parmi les éleveurs de Persan et Maine Coon qui redoutent la PIF, provoquée selon eux par une baisse d’immunité liée à la vaccination contre la leucose…).
Cependant, pendant de nombreuses années, des vétérinaires ont relayé le discours séduisant et peut-être simpliste qu’une vaccination avec adjuvant pouvait être la cause de fibrosarcomes chez le chat. Actuellement, les éléments de preuves sont manquants, tout au plus est-il constaté une moindre incidence des réactions inflammatoires locales, sans qu’aucune corrélation ne puisse être apportée avec la possibilité d’un développement futur d’une néoplasie secondaire ! (2). Une analyse critique des informations scientifiques relayées par les laboratoires pharmaceutiques est toujours judicieuse.
En élevage d’animaux de production aussi on rencontre ce refus de vaccination
Il existe peu d’études analysant les motivations de refus d’une vaccination collective. L’une d’elle nous éclaire sur les raisons d’adhésions et de refus de la vaccination contre la FCO (élevage de bovins et moutons) en Allemagne dans les années 2010. Les principaux motifs de refus sont le risque faible d’être confronté à la maladie, le coût de la vaccination, la symptomatologie peu grave de la maladie, un ratio bénéfices/risques de la vaccination a priori considéré comme non favorable à l’éleveur, avoir été confronté à des effets indésirables (3). Cette étude confirme ce qui avait été identifié aux Pays Bas quelques années plus tôt auprès d’une population similaire d’éleveurs pour la même maladie (4).
Le vétérinaire doit rester le garant de la confiance et de la pertinence des choix vaccinaux auprès des propriétaires d’animaux de compagnie et des éleveurs d’animaux de rente. La biologie est une discipline complexe dont les bases ne sont pas toujours acquises par la population. L’émergence de discours « anti-vax » complique certainement notre tâche au quotidien, et ce d’autant que certains vétérinaires en viennent à proposer des alternatives non scientifiquement fondées telles que les nosodes comme solution de « vaccination homéopathique »… Participons à l’éducation des propriétaires/éleveurs et raisonnons les choix vaccinaux en les expliquant !
(*) : Pour déclarer un effet indésirable, le vétérinaire peut :
- appeler le Centre de Pharmacovigilance Vétérinaire de Lyon : 0478871040
- notifier via le site : https://pharmacovigilance-anmv.anses.fr/
Bibliographie :
- https://www.anses.fr/fr/system/files/ANMV-Ra-Pharmacovigilance2018.pdf
- Kass P.H. Prevention of feline injection-site sarcomas. Is there a scientific foundation for vaccine recommendations at this time ? Vet Clin Small Anim, 2018, 48 : 301-306
- Gethmann J, Zilow V, Probst C, Elbers AR, Conraths FJ. Why German farmers have their animals vaccinated against Bluetongue virus serotype 8: results of a questionnaire survey. Vaccine. 2015 Jan 1;33(1):214-21. doi: 10.1016/j.vaccine.2014.10.025. Epub 2014 Nov 8.
- Elbers AR, de Koeijer AA, Scolamacchia F, van Rijn PA. Questionnaire survey about the motives of commercial livestock farmers and hobby holders to vaccinate their animals against Bluetongue virus serotype 8 in 2008-2009 in the Netherlands.Vaccine. 2010 Mar 16;28(13):2473-81. doi: 10.1016/j.vaccine.2010.01.047. Epub 2010 Jan 31