Le côté dangereux de la recherche sur l’effet placebo : la science dure stimule-t-elle la pseudoscience ?

Par zeteditor
effet placebo

par Fabrizio Benedetti 1,2,3, *

Nous vous proposons un article traduit de l’anglais par les Zétérinaires, qui alerte sur la récupération pseudoscientifique et l’exploitation charlatanesque des avancées de la recherche sur l’effet placebo.

Cet article s’insère dans la réflexion que nous devons mener sur l’utilisation du placebo en médecine vétérinaire, dans la lignée de notre article « Est-il acceptable de prescrire un placebo ? ». Edzard Ernst sur son blog fait un commentaire sur l’article de Benedetti qu’il conclue par cette phrase « Utiliser des thérapies placebo en routine n’est pas dans le meilleur intérêt pour le patient et pour le progrès. »

Nous remercions le Pr F. Benedetti, auteur, pour l’aimable autorisation de traduire son article publié le 21 août 2019 dans Clinical Pharmacology & Therapeutics.

Benedetti F. The Dangerous Side of Placebo Research: Is Hard Science Boosting Pseudoscience? Clin Pharmacol Ther. 2019 Aug 21.

Au cours des dernières années, les progrès de la recherche sur l’effet placebo ont profité à toutes les sciences médicales en raison de l’évolution du concept de placebo, passé de simple comparateur ou « témoin » en recherche clinique à un phénomène digne d’être étudié par la science. Cependant, ces nouvelles connaissances scientifiques se retournent maintenant contre la science et certains dangers jusqu’ici sous-estimés ou négligés doivent être abordés, en particulier dans la pratique clinique, où l’utilisation inappropriée de placebos peut nuire.

Comme dans toute démarche scientifique, les effets bénéfiques ou néfastes découlant d’une connaissance nouvelle sur le monde, la société ou l’individu, dépendent de l’utilisation que nous en faisons. Non seulement une bonne science devrait être basée sur des découvertes physiques, chimiques et biologiques, mais elle devrait également déterminer si les avantages des nouvelles découvertes l’emportent sur les inconvénients. Il va sans dire que la recherche sur l’effet placebo a de nombreux avantages, qui ont été soulignés à maintes reprises, allant de la meilleure conception des essais cliniques (1) aux applications cliniques possibles et prometteuses (2,3), ainsi que d’une meilleure compréhension de la progression de la maladie, jusqu’à l’importance des facteurs psychologiques dans la réponse à un traitement. Au cours des dernières années, les chercheurs étudiant les placebos ont utilisé des données scientifiques rigoureuses pour comprendre les mécanismes du cerveau et plusieurs fonctions du corps, de sorte que l’effet placebo est devenu un phénomène scientifique crédible et fiable (5-7). Par exemple, un certain nombre de voies biochimiques – telles que les opioïdes et les cannabinoïdes endogènes (5,6) – et des régions du cerveau comme le cortex préfrontal (8), se sont révélées être impliquées dans l’analgésie placebo. De même, on a découvert que la dopamine et les circuits des noyaux gris centraux servaient de médiateurs aux réponses placebo dans la maladie de Parkinson (4).

Bien que ce soit une excellente nouvelle pour la science, il se peut que ce ne soit pas le cas pour la société. Le nombre d’organisations non médicales et de guérisseurs qui s’appuient sur ces découvertes, pour en fait justifier leurs procédures étranges et ésotériques, a augmenté ces dernières années. La principale revendication, c’est que toute procédure augmentant les attentes des patients, ce qui représente le principal médiateur des effets placebo, est acceptable car elle peut activer les mêmes voies biochimiques et réseaux de neurones qui ont été rendus crédibles par la science. Notre département a été témoin d’une augmentation alarmante des propositions de bonimenteurs et charlatans concevant de nouveaux placebos qui, selon eux, peuvent avoir des effets puissants sur ces mêmes mécanismes que la science met tant en avant. La première série de propositions que notre département a reçues a débuté en 1999, et leur nombre a atteint 298 fin 2018, avec une accélération dans le temps. La forte augmentation de 2009 est attribuable à un article paru dans le New England Journal of Medicine (9), affirmant que notre laboratoire était le premier laboratoire au monde dans l’étude des placebos, ce qui, à mon avis, a pu avoir un impact considérable sur la communauté du charlatanisme. On peut constater une deuxième forte augmentation en 2015, ce qui peut être attribué à la publication de cette information dans Wikipedia (10), qui a sûrement étendu ces concepts aux profanes.

Le point crucial ici est que lorsque la science fondamentale a commencé à enquêter sur les effets placebo, elle a inconsciemment modifié la pensée du charlatanisme. En fait, les charlatans prennent de plus en plus conscience que leurs interventions ésotériques pourraient fonctionner via un effet placebo. En effet, alors que la science a jusqu’à présent nié toute base scientifique aux thérapies non conventionnelles, cette même science certifie à présent que l’effet placebo a une base scientifique. Par conséquent, les charlatans ne s’intéressent plus à démontrer que leurs pseudo-interventions fonctionnent ; ils justifient plutôt leur utilisation par la possibilité que ces interventions étranges puissent induire de puissants effets placebo. Parce que la science a mis l’accent sur les fondements biologiques des attentes dans la réponse au placebo, toutes les propositions concernant les nouveaux placebos visent à stimuler les attentes du patient afin de déclencher les mécanismes cérébraux tant vantés par la science. Ces propositions vont des produits médicamenteux, tels que des capsules remplies de farine, aux objets physiques et aux procédures ésotériques, comme le placement d’un talisman sur une partie douloureuse du corps. Dans la plupart des cas, l’objectif principal n’est pas tant leur validation au moyen d’un essai clinique, mais simplement la présentation d’un nouvel objet ou procédé, qui, disent-ils, induirait sûrement de puissants effets placebo. Les partisans de ces pseudo-traitements disent que leurs produits sont vraiment efficaces dans un certain nombre de maladies, car ils induisent des attentes positives en termes d’amélioration. Bien entendu, les cibles de ces affirmations sont les patients qui croient aux propriétés thérapeutiques de ces objets et procédures étranges.

Les situations dans lesquelles ces prétentions sont affichées sont encore plus préoccupantes. Bien que chaque situation médicale puisse être potentiellement dangereuse, certaines affections, telles que le cancer ou les maladies infectieuses, ainsi que les affections pédiatriques, le sont davantage que d’autres si elles ne sont pas traitées correctement. Un antibiotique placebo ne peut pas tuer les bactéries de la pneumonie, et un contraceptif placebo ne peut empêcher la grossesse. De même, il n’existe aucune preuve scientifique de réponses placebo pour des médicaments tels que les anticoagulants et les antiplaquettaires, pour des affections telles que l’ostéoporose ou de nombreuses maladies cardiovasculaires, et la liste des affections insensibles aux placebos serait interminable (4).

En surfant sur le Web, il est possible de se rendre compte que de nombreux sites ont intégré les effets biologiques des placebos comme une sorte de justification pour des rituels thérapeutiques surprenants. Beaucoup prétendent que toute procédure augmentant les attentes et les convictions serait justifiée, peu importe d’où elle vient. Selon ce point de vue inquiétant et cette perspective alarmante, si une seringue remplie d’eau distillée et manipulée par un médecin peut induire des attentes d’amélioration, alors les mêmes attentes peuvent être induites par les talismans, les mascottes et les rituels bizarres.

Dès lors le point crucial et même le paradoxe, c’est que ce sont les scientifiques qui ont convaincu le profane que les placebos fonctionnent par le biais de mécanismes biologiques spécifiques. Par conséquent, ces avancées scientifiques risquent d’être exploitées de la mauvaise manière, et de conduire à une régression de la médecine vers un passé révolu. Les recherches sur l’effet placebo portent sur un trait vulnérable de l’humanité, soulevant ainsi un certain nombre de questions éthiques qu’il est temps de traiter en détail. Quelle est la limite éthique pour distribuer des placebos et augmenter les attentes ? Pouvons-nous accepter tous les moyens disponibles, qu’il s’agisse d’une pilule de sucre ou d’un breuvage bizarre ? Qu’en est-il des patients qui font confiance à des rituels curieux mais pas à des médicaments conventionnels ? Les mécanismes cérébraux liés aux attentes devraient-ils être activés chez eux au moyen de rituels étranges ?

Bien qu’une solution définitive à ces problèmes éthiques soit certainement difficile à trouver, je pense qu’au moins deux aspects doivent être examinés en profondeur : l’éducation et la communication. Nous devons éduquer et communiquer avec les patients et les professionnels de la santé afin de leur faire mieux comprendre le phénomène du placebo et les problèmes connexes. Un premier point à souligner est que les placebos ne guérissent pas mais qu’ils peuvent parfois améliorer la qualité de vie. Il y a beaucoup de confusion sur ce point et, malheureusement, beaucoup affirment qu’ils peuvent soigner pratiquement toutes les maladies avec des placebos. La science nous dit que les placebos peuvent réduire les symptômes tels que la douleur et la rigidité musculaire dans la maladie de Parkinson, mais la progression de la maladie n’est pas affectée ; par exemple, dans la maladie de Parkinson, les neurones continuent de dégénérer, même si certains symptômes peuvent être réduits pendant une courte période (4). Le deuxième point est lié au premier. Le type de maladie est crucial et nous devons faire comprendre aux gens que la douleur n’est pas la même chose qu’un cancer et que l’anxiété est différente des maladies infectieuses. La composante psychologique de certaines maladies peut en effet être modulée par des placebos, mais les placebos ne peuvent arrêter la croissance des cancers ni tuer les bactéries de la pneumonie. Le troisième point est lié à la différence entre les effets placebo réels et les rémissions spontanées. Jusqu’ici, les sciences fondamentales ont étudié l’effet placebo sur une période de plusieurs heures / jours, limitant ainsi nos connaissances à des effets à court terme. Par conséquent, les effets à long terme peuvent souvent être attribués à des rémissions spontanées. En plus de ces trois points importants, il convient également de faire comprendre aux patients qu’un diagnostic est nécessaire avant tout traitement. Une douleur apparemment triviale peut dissimuler un danger ; ainsi, elle ne doit jamais être traitée avant qu’un diagnostic ait été préalablement posé, et cela ne peut être fait que par des médecins. De plus, non seulement devrions-nous discuter et considérer les effets positifs des placebos et l’impact qu’ils peuvent avoir sur les essais cliniques et la pratique médicale, mais nous devrions également accorder une grande partie de notre attention à la contrepartie négative, à savoir le mésusage et l’utilisation abusive par les bonimenteurs, les charlatans, les chamanes et les organisations non médicales. Nous devons donc informer la société dans son ensemble que les avantages résultant d’une procédure de guérison non conventionnelle sont imputables à un effet placebo dans la plupart des cas. Enfin et surtout, nous devons être plus honnêtes quant à l’efficacité réelle de nombreux traitements pharmacologiques et non pharmacologiques, en reconnaissant que certains d’entre eux sont utiles, tandis que d’autres ne le sont pas : cela renforcera la confiance des patients dans la médecine, confiance qui est à mon avis le pire ennemi du charlatanisme.

Dans l’ensemble, le phénomène placebo reste aujourd’hui encore un paradoxe et un effet difficile à appréhender. Outre les récentes découvertes scientifiques, de nombreuses préoccupations éthiques limitent les implications et applications. Nous devons certainement poursuivre les recherches dans cette direction, mais il ne faut jamais perdre de vue les risques de mésusage et d’abus. Malheureusement, le charlatanisme a aujourd’hui une arme de plus, qui correspond paradoxalement aux mécanismes placebo expliqués par la science dure. Ce nouveau « charlatanisme scientifique » peut faire beaucoup de dégâts ; nous devons donc être très prudents et vigilants quant à la manière dont les conclusions de la science fondamentale sont exploitées. L’étude de la biologie de ces aspects vulnérables de l’humanité peut permettre de comprendre de nouveaux mécanismes de fonctionnement de notre cerveau, mais elle peut également avoir un impact négatif profond sur notre société. Nous ne pouvons pas accepter un monde où les attentes peuvent être renforcées par n’importe quels moyens et par n’importe qui. C’est une perspective qui serait sûrement inquiétante et dangereuse. Je pense que certaines réflexions sont nécessaires pour éviter une régression de la médecine vers le passé, dans laquelle le charlatanisme et le chamanisme étaient prépondérants. Malheureusement, les nouvelles connaissances sur les placebos apportées par la science se retournent contre elles. Ce que nous devons faire, c’est nous arrêter un moment et réfléchir à ce que nous faisons et à la manière dont nous voulons aller de l’avant. Une question cruciale doit être tranchée : la recherche sur les placebos stimule-t-elle la pseudoscience ?

1Neuroscience Department, University of Turin Medical School, Turin, Italy; 2Medicine & Physiology of Hypoxia, Plateau Rosà, Italy/Switzerland; 3Plateau Rosà, Medicine & Physiology of Hypoxia, Zermatt, Switzerland. *Correspondence : Fabrizio Benedetti (fabrizio.benedetti@unito.it)

Le financement

Ce travail a été financé par l’initiative mondiale Innovative Clinical Training, Trials & Healthcare (ICTH).

Les conflits d’intérêts

L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêt pour ce travail.

Article original

Benedetti F. The Dangerous Side of Placebo Research: Is Hard Science Boosting Pseudoscience? Clin Pharmacol Ther. 2019 Aug 21. [PubMed]

Bibliographie

(1) Benedetti, F., Carlino, E. & Piedimonte, A. Placebo, nocebo, Hawthorne effects and the increasing uncertainty in clinical trials. Lancet Neurol. 15, 736–747 (2016). 

(2) Kaptchuk, T.J. Open-label placebo: reflections on a research agenda. Perspect. Biol. Med. 61, 311–334 (2018). 

(3) Kaptchuk, T.J. & Miller, F.G. Open label placebo: can honestly prescribed placebos evoke meaningful therapeutic benefits? Br. Med. J. 363, k3889 (2018). 

(4) Benedetti, F. Placebo Effects, 2nd edn. (Oxford University Press, Oxford, UK, 2014). 

(5) Benedetti, F. Placebo and the new physiology of the doctor-patient relationship. Physiol. Rev. 93, 1207–1246 (2013). 

(6) Benedetti, F. Placebo effects: from the neurobiological paradigm to translational implications. Neuron 84, 623–637 (2014). 

(7) Colloca, L., Flaten, M.A. & Meissner, K., eds. Placebo and Pain: From Bench to Bedside (Academic Press, Cambridge, MA, 2013). 

(8) Wager, T.D. & Atlas, L.Y. The neuroscience of placebo effects: connecting context, learning and health. Nat. Rev. Neurosci. 16, 403–418 (2015). 

(9) Brody, H.A. Book review: Placebo effects: understanding the mechanisms in health and disease by Fabrizio Benedetti. N. Engl. J. Med. 360, 1576–1577 (2009).

(10) Fabrizio Benedetti is professor of physiology and neuroscience at the University of Turin Medical School in Turin, Italy. He is known for his research into the placebo and nocebo effects. . Accès 19 octobre 2019.

Crédit image : Pixabay