On assiste depuis plusieurs années à une réduction de l’utilisation des antibiotiques en élevage en France et en Europe. Cette réduction est motivée par les craintes légitimes d’apparition ou d’aggravation de phénomènes d’antibiorésistance, à la fois en médecine humaine et en médecine vétérinaire. Si les réductions d’usage sont en partie attribuables aux éleveurs et acteurs de terrain conscients des risques encourus, des actions sont aussi impulsées par l’état français via le plan EcoAntibio1 initié en 2011 et dont l’objectif était une réduction de 25% de la consommation d’antibiotiques en médecine vétérinaire sur une période de 5 ans.
Les antibiotiques sont des outils efficaces pour le contrôle des infections bactériennes à l’origine de maladies animales. Réduire leur utilisation sans dégrader la santé des animaux conduit à la recherche de solutions alternatives. Une partie de la solution consiste à améliorer la prévention pour diminuer le nombre de traitements nécessaires. Sur le terrain, on constate aussi un engouement pour les médecines alternatives : aromathérapie, homéopathie ou phytothérapie par exemple. Les difficultés liées à l’utilisation de ces traitements résident, faute de données disponibles, dans la méconnaissance à la fois de leur efficacité vis-à-vis de troubles de santé contre lesquels ils sont utilisés, de leur impact sur la transformation et la conservation des produits animaux ainsi que de leur innocuité à la fois pour les animaux traités et pour les consommateurs des produits issus des animaux traités. Ici, on retrouve les mêmes pièges et difficultés que ceux rencontrés dans l’utilisation des médecines complémentaires et alternatives en médecine humaine : le fait qu’un traitement soit largement utilisé depuis longtemps montre la satisfaction des utilisateurs, mais n’est en aucun cas une preuve d’efficacité. Si on prend l’homéopathie chez l’Homme, à titre d’illustration, le consensus scientifique est que l’effet de ce type de thérapeutique n’est pas supérieur à l’effet placebo234. Ceci a conduit certains organismes de santé nationaux tel que le NHS en Angleterre à ne plus rembourser les traitements homéopathiques5. Si l’homéopathie est inefficace chez l’être humain, elle l’est aussi chez les animaux67. C’est pourquoi, dans plusieurs pays, des vétérinaires ont lancé des pétitions pour que l’homéopathie ne soit plus reconnue comme une thérapeutique efficace en médecine vétérinaire89. Pourtant, ce type de traitement est utilisé en élevage en France10.
Si en ce qui concerne l’homéopathie on sait que les effets biologiques ne sont pas ceux annoncés, pour la plupart des autres médecines alternatives on dispose de relativement peu de données fiables sur leur efficacité. Plusieurs cas de figure sont possibles selon le type de trouble de santé considéré et l’efficacité réelle du traitement vis-à-vis de ce trouble de santé. Si le taux de guérison clinique spontané d’une maladie (c’est-à-dire en l’absence de tout traitement) est élevé, on peut faussement conclure que l’efficacité de n’importe quel traitement est élevée. Un taux de guérison spontané faible associé à une thérapeutique inefficace conduit à une dégradation de la situation, et probablement à un abandon de la thérapeutique inefficace. Entre ces 2 extrêmes, toutes les configurations sont possibles.
L’utilisation de traitements à l’efficacité faible ou nulle pour l’affection contre laquelle ils sont utilisés va avoir plusieurs types de conséquences. Comme on l’a souligné, ces traitements peuvent aboutir à une dégradation de la santé des animaux. Ils peuvent aussi avoir des répercussions économiques en accroissant les charges de l’élevage sans aucune amélioration de la santé, ce qui constitue une perte de revenu pour l’éleveur et de compétitivité pour la filière. On compte aussi des effets positifs dans certaines circonstances. C’est le cas si un traitement peu efficace est utilisé en première intention sur un trouble de santé avec un taux de guérison spontanée élevé et qu’un relais efficace est pris en cas de persistance des symptômes. Le traitement de première intention rassure l’éleveur et seuls les cas plus graves sont traités, ce qui induit une baisse du nombre des traitements. Ce type de traitement peut aussi conduire à une observation plus attentive des animaux qui peut être associée à une prise en charge plus précoce des malades et in fine une chance de guérison plus élevée via notamment un nursing plus important.
Un des aspects les plus gênants associé à l’utilisation de certaines médecines alternatives est leur adossement à des représentations de la maladie qui sont difficilement conciliables avec les connaissances scientifiques actuelles. Par exemple, l’homéopathie repose sur le principe de la similitude entre les symptômes provoqués par la substance à la base de la préparation homéopathique administrée à haute dose et les symptômes de la maladie. Au-delà du principe qui peut sembler surprenant, la plupart des préparations homéopathiques ne contiennent aucune molécule active, d’où l’appel à la théorie de la mémoire de l’eau qui a été postulée mais qui n’a pas été validée scientifiquement. On peut aussi se poser des questions quant à la validité des théories mises en avant par certains aromathérapeutes11. Les conséquences de la diffusion de représentations qui vont à l’encontre des connaissances scientifiques produites dans la période récente sont difficiles à prédire, mais on voit mal comment elles pourraient être bénéfiques des points de vue de la santé et du bien-être des animaux et de la compétitivité de l’élevage français.
Si pour les traitements conventionnels il existe une procédure rigoureuse d’évaluation de l’innocuité et de l’efficacité des traitements pour l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché, ce n’est pas le cas pour les médecines alternatives, pour lesquelles la législation peut être floue ou inexistante. Des évaluations rigoureuses sont rarement réalisées faute de moyens ou de volonté ou d’institutions validant les résultats. On pourrait imaginer que ce sont les éleveurs et vétérinaires qui mettent en œuvre un traitement qui sont les plus à même d’en évaluer l’efficacité. Malheureusement, l’expérience individuelle est souvent insuffisante pour pouvoir quantifier l’impact d’une intervention sur la santé animale. Une large palette de biais cognitifs qui conduit à des conclusions erronées à partir d’expériences personnelles a été mise en évidence par les psychologues12. Ces biais cognitifs s’appliquent aussi aux professionnels de santé comme les vétérinaires13.
L’évaluation de l’efficacité d’un traitement contre un trouble de santé doit donc mobiliser des méthodes qui vont au-delà de l’appel à des expériences personnelles. Les principes d’une telle démarche ont été définis pour la médecine humaine et bénéficient d’une reconnaissance croissante en médecine vétérinaire. On parle de médecine basée sur les preuves (evidence based medicine en anglais). Enfin, la santé des consommateurs consommant des produits animaux doit être assurée par une évaluation des risques associés à chaque traitement et par une législation permettant de garantir l’exposition des consommateurs à des niveaux ne présentant aucun risque pour leur santé.
DV Aurélien Madouasse
1
http://agriculture.gouv.fr/plan-ecoantibio-2012-2017-lutte-contre-lantibioresistance
2
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20402610
3
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1874503/
4
http://tempsreel.nouvelobs.com/sante/20150317.OBS4787/l-homeopathie-des-pilules-en-sucre-sans-aucune-efficacite.html
5
http://www.bbc.com/news/uk-40683915
6
https://www.zeterinaires.fr/nofakemed/index.php/2019/05/09/comparaison-entre-medicaments-veterinaires-et-homeopathie-veterinaire-partie-1/
7
https://bvajournals.onlinelibrary.wiley.com/ DOI :10.1136/vr.104279
8
https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/chiens/le-coup-de-gueule-des-veterinaires-britanniques-contre-l-homeopathie_102826
9
https://www.zeterinaires.fr/nofakemed/index.php/signez-la-petition/
10
http://www.mon-cultivar-elevage.com/content/lhomeopathie-pour-soigner-les-mammites
11
https://web.archive.org/web/20160629110259/http://sante-animale.reussir.fr:80/actualites/ce-qu-il-faut-savoir-pour-bien-utiliser-les-huiles-essentielles:G2FACR3A.html
12
https://www.amazon.fr/Thinking-Fast-Slow-Daniel-Kahneman/dp/0141033576